Filed under: Beauté

Car chaque siège est différent. C'est une lapalissade mais c'est vrai. Il y a ceux d'en bas ; il y a ceux à contre-jour ; ceux du fin fond du fond, là-bas, près de l'écran géant ; ceux du coin en haut à droite qui s'avèrent être juste derrière le poteau (mais que voulez-vous, pour 20$ vous ne vous attendiez pas à voir le match en plus?). Et puis il y a les loges.
Les loges sont des microcosmes à elles seules. Il y en a de toutes sortes, mais elles ont quand même quelques points en commun : on y boit (du vin blanc), on y mange (des bouchées) et on y parle. On y parle maquillage. Enfin ça c'est si, comme moi, on est dans la loge d'une compagnie de cosmétiques. En loge Stella Artois, on parle beaucoup moins de ce genre de choses.
Donc moi, ma loge, c'était une société spécialisée dans les produits de beauté. Et le truc, c'est que j'en utilise très peu. Je suis un mâle alpha. Ou peut-être bêta, mais c'est déjà pas mal. J'ai donc très peu parlé. J'ai écouté, et ça fait du bien, ça permet de se vider la tête comme quand on fait la planche à la piscine ou quand on découpe des tomates. J'ai appris par exemple que les cils et sourcils peuvent très bien faire office de sujet de conversation, même pour un homme. Même pour le seul homme de la loge.
Et là, comme ça, je pourrais raconter ce que j'ai appris pendant que je faisais la planche dans ma tête. Oui mais qui dit coupe Rogers dit tennis, alors passons au tennis : Serena Williams a gagné, Venus Williams aussi. Voilà, sinon, j'ai pris des coups de soleil et me suis permis un calembour :
« C'est la coupe rougeurs ici ou quoi ?
-On dit coupe Rogers », m'a-t-on rétorqué.
On était vraiment à contre-jour, ce qui me donnait l'impression de tout voir à travers un filtre sépia Instagram. Dans leur match contre les rayons UV, mes yeux ont perdu en deux sets : -6,5 à l'œil droit ; -6 à l'œil gauche.
Mais ça allait parce qu'on est vite rentrés en loge pour manger, et on s'est remis à parler maquillage. Non, pas maquillage, patchs antirides, «avec cellules souches de pomme [qui] atténuent visiblement l'apparence des rides et ridules et hydratent la région du contour de l'œil en profondeur pour un regard visiblement rajeuni et éclatant». Bon là j'ai cité l'emballage parce que j'ai pas écouté toutes les descriptions. Mon verre de vin rouge me parlait au même moment.
Cependant, car il y a un CEPENDANT : les patchs antirides, m'a-t-on assuré, sont aussi utilisables par les hommes. Et avec toutes ces vitamines D sur ma peau, me suis-je dit, peut-être qu'un ou deux patchs ne seraient pas de trop. J'ai souri de toutes mes dents pleines de tanins rouges, puis j'ai arrêté parce que ça me faisait des pâtes d'oie.
Sur la table il y avait des échantillons, d'étranges virgules Nike en papier qu'on se colle sous les yeux pour retendre la peau. On aurait dit des petits sourires éparpillés de-ci delà, comme autant de smileys dans le texto d'un adolescent prépubère. J'ai souri à nouveau, puis j'ai arrêté parce que j'ai réalisé que je souriais à la table.
Alors, pour faire bonne figure, j'ai participé à la conversation. J'ai voulu parler de mes rides, mais on était passé à autre chose. J'ai parlé d'autre chose. Et j'ai fait un avion avec ma serviette. Sur la table, les échantillons avaient été remplacés par des assiettes de quinoa, de brie et de betteraves. On était comme au resto sauf que le match de tennis qui passait sur les télés accrochées aux murs se déroulait aussi à vingt mètres, en contrebas.
Bercé par les cris dionysiaques de tenniswomen millionnaires, j'ai ensuite repris place sur mon siège à contre-jour qui l'était beaucoup moins (à contre-jour) parce que le soleil, rose comme le bout de mon nez, tombait derrière les édifices de la rue Jarry. Autour de moi, les 11499 autres sièges du stade Uniprix criaient un peu et tapaient dans leurs mains quand Venus ratait ses coups. Sur ses chaussures et sur sa casquette, il y avait les mêmes sourires que sur la table.
Avant de me laisser partir, on m'a offert un petit sac blanc avec des patchs antirides et des bonbons acidulés, le tout enveloppé de papier rose. J'ai failli l'oublier chez l'épicier, j'ai failli ne pas revenir sur mes pas quand je m'en suis aperçu.
Mais je suis revenu. En courant.
Découvrez nos styles de rue de la Coupe Rogers dans la galerie photos ci-dessus.
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